Le Gibet de Montfaucon : un monument sinistre aux portes de Paris

Haut-lieu de la justice médiévale à la réputation sinistre, le Gibet de Montfaucon est aujourd’hui relégué en lointain souvenir de la mémoire parisienne. Redécouvrez-ici son histoire.

“Qu’on se figure, au couronnement d’une butte de plâtre, un gros parallélépipède de maçonnerie, haut de quinze pieds, large de trente, long de quarante, avec une porte, une rampe extérieure et une plate-forme ; sur cette plate-forme seize énormes piliers de pierre brute, debout, hauts de trente pieds, disposés en colonnade autour de trois des quatre côtés du massif qui les supporte, liés entre eux à leur sommet par de fortes poutres où pendent des chaînes d’intervalle en intervalle ; à toutes ces chaînes, des squelettes ; aux alentours dans la plaine, une croix de pierre et deux gibets de second ordre qui semblent pousser de bouture autour de la fourche centrale ; au-dessus de tout cela, dans le ciel, un vol perpétuel de corbeaux. Voilà Montfaucon.” 

Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831

La construction du gibet

Le gibet de Montfaucon fut érigé sur la butte de Montfaucon, sous le règne de Louis IX, probablement aux alentours de 1027, par le vicomte de Paris. Aujourd’hui cette butte a disparu, mais son emplacement se situe près de la place du colonel Fabien, dans le 10e arrondissement. À l’époque, c’était en dehors de la ville, au bord de la route qui reliait la capitale au nord du pays, en particulier la Champagne. Une route très fréquentée. Le gibet sert alors à exposer les cadavres des condamnés après leur exécution, afin que tous voient ce qu’il en coûte de violer la loi du roi. Il y a des pendus, des étranglés, des écartelés, des noyés, des décapités, des démembrés, des brûlés et beaucoup d’autres joyeusetés. On y trouve également parfois des mannequins, représentant les condamnés par contumace ayant fui la justice. Les cadavres ne sont jamais exposés nus : il faut choquer, mais pas trop non plus. Ils sont toujours habillés, et les éventuels membres arrachés sont placés dans des sacs.

 Le gibet est d’abord construit en bois. Il est remplacé par une construction en pierre sous Philippe le Bel, le fameux assassin des templiers. On lui construit alors une base carrée de 10 m. de côté et 4 à 6 de haut. Sur cette base sont plantés 16 piliers de près de 10 mètres de haut, entre lesquels sont placées deux, trois ou quatre étages de poutres, selon les sources, d’où pendent des cordes. On peut y accrocher plus de 50 cadavres. On y accède par une rampe fermée par une lourde porte. Au centre est creusée une fosse, ou une cave, où on jette les corps après les avoir exposés.

Au début du XVe siècle, il est rénové et blanchi à la chaux pour être visible de plus loin. Quelques décennies plus tard, les cordes qui suspendent les cadavres sont remplacées par des chaînes.

Pendant 6 siècles, il est le plus grand gibet du royaume. Il faut cependant noter qu’il n’est jamais le seul, même à Paris.

Les Fourches de la grande justice de Paris

Détail d’une enluminure de Jean Fouquet tirée des Grandes Chroniques de France, vers 1460

Le gibet de Montfaucon a longtemps été surnommé “fourches de la grande justice de Paris”. En effet, sa première fonction est celle de fourches patibulaires. Le terme “gibet” désigne à la fois ces fourches, qui servent à l’exposition des condamnés, et les potences, qui servent à l’exécution des pendus. Les fourches patibulaires démontrent le pouvoir de justice du seigneur, et chaque fief a les siennes. Celles de Montfaucon sont d’abord celles du vicomte de Paris, mais elles deviennent vite celles du roi. Elles sont donc les plus imposantes et comptent plus de piliers que toutes les autres. En effet le nombre des piliers, appelés fourches ou piliers de justices, dépendait du rang du seigneur : les chevaliers en avaient deux, les châtelains trois, les barons quatre, les comtes six et les ducs huit. Le roi peut en mettre autant qu’il veut. À Montfaucon, il érige 16 piliers en évocation des 16 quartiers de Paris. 

Le gibet est gardé jour et nuit par des hommes armés dont le rôle est d’empêcher les proches des victimes de les décrocher. Ils empêchent également les vols de cadavres par des bouchers, puis des médecins de la faculté de Paris, qui veulent les disséquer, par des sorciers qui veulent les utiliser dans l’élaboration de diverses potions et rituels magiques, ou par des collectionneurs aux goûts douteux. Les corps sont retirés une fois réduits à l’état de squelettes, parfois avant s’il manque de la place, et sont jetés dans la fosse creusée au centre du gibet. Ils sont donc privés de sépulture, ultime châtiment qui pèse sur l’âme du condamné autant que sur sa famille. En 1396, Charles VI abolit la coutume qui consistait à refuser la confession aux condamnés à mort. On construit alors au pied du gibet un calvaire où les suppliciés peuvent demander pardon pour leurs crimes, et leurs proches prier pour leur âme. 

Illustration extraite de l’ouvrage de Firmin Maillard, Le gibet de Montfaucon (étude sur le vieux Paris), Paris, Auguste Aubry, 1863 

“Le vent, s’il entre là, sort pestilentiel.
Chacun d’eux sous le croc du sépulcre tournoie
Et tous, que juin les brûle ou que janvier les noie,
S’entreheurtent, fameux, chétifs, obscurs, marquants,
Et sont la même nuit dans les mêmes carcans.
Le craquement farouche et massif des traverses
Accompagne leurs chocs sous les âpres averses,
Et, comble de terreur, on croirait par instant
Que le cadavre, au gré des brises s’agitant,
Avec son front sans yeux et ses dents sans gencives,
Rit dans la torsion des chaînes convulsives.”

Victor Hugo, La Légende des Siècles, 1859

Montfaucon après le gibet

À partir du XVIIe siècle, le gibet est de moins en moins utilisé, avant d’être laissé complètement à l’abandon. Il est finalement démoli en deux fois, en 1760 et 1790.
Au XIXe siècle, la colline de Montfaucon est occupée par des chantiers d’équarrissage et une usine de poudrette, justement appelée Poudrette de Montfaucon, un engrais produit à partir de la matière fécale des habitants de Paris. C’est un quartier très insalubre, peuplé de rats, envahi de pourriture, qui rejette des émanations putrides dans un rayon de plusieurs kilomètres, polluant tout le nord de la capitale.

Louis Roux, un ingénieur des poudres et salpêtres, y consacre en 1841 un ouvrage intitulé De Montfaucon, de l’insalubrité de ses établissements et de la nécessité de leur suppression immédiate. Il y écrit : “Nous voulons parler de la méthode barbare autant que malsaine qui préside à l’équarrissage des chevaux. Il a lieu dans un endroit qui manque d’eau, où tout semble avoir été prévu pour que la putréfaction soit seule appelée à dissoudre les débris entassés pêle-mêle au fur et à mesure de l’égorgement; où la chair se corrompt dans le sang, le sang dans la chair, les intestins au milieu de l’un et de l’autre; où le ver, né de la putréfaction, vient en aide à la putréfaction elle-même; où tout ce qui peut produire, nourrir, alimenter, activer, propager, maintenir un foyer immense, incessant de corruption est accepté, entretenu, fomenté à risques et périls de la population voisine. Et cette population est celle de Paris ! »

Usine et chantiers sont supprimés quelques années plus tard, et Montfaucon est assaini. À la fin du XIXe siècle, dans la foulée des travaux d’Haussmann, on y construit des immeubles d’habitation et la butte est avalée par la ville de Paris.

Image mise en avant : tableau Gibet de Montfaucon par Pierre-Antoine CLUZEAU, 1920-1930

Cet article est proposé par:

Jean de Musée Up'

Jean de Musée Up'

 

 / 

Se connecter

Envoyer un message

Mes favoris